Optimiser la transmission de son patrimoine Des opérations très intéressantes mais à maîtriser juridiquement parlant
Les personnes morales offrent une très grande souplesse aussi bien dans leur fonctionnement que dans la rédaction de leur statut. Les professionnels du Droit ont élaboré grâce à elles, de nombreuses stratégies patrimoniales permettant une économie d’impôts et notamment en matière de droits de mutation à titre gratuit, en amorçant la transmission. Le démembrement de propriété s’est révélée être une technique des plus efficiente en matière de transmission du patrimoine du donateur sans pour autant dépouiller ce dernier.
Dans les développements qui suivent, nous allons aborder plusieurs méthodes de transmission à travers une SCI, et les mettre en relief, avec l’avènement du mini-abus de droit, nouvelle arme dont dispose l’administration fiscale pour requalifier les montages des contribuables.
QUELLES SONT LES INCIDENCES APPORTÉES PAR LE MINI-ABUS DE DROIT
L’article L. 64 A du Livre des Procédures Fiscale (LPF) vient compléter les armes dont disposent l’administration fiscale pour sanctionner les opérations des contribuables. En effet, les actes passés ou réalisés depuis le 1er janvier 2020, sont susceptibles d’être redressés sur la base de l’article L. 64 A du LPF ou mini-abus de droit. Tombent sous le joug de cet article, tous les impôts à l’exception de l’article 205 A du CGI visant la clause générale anti-abus de l’impôt sur les sociétés.
Le mini-abus de droit vient sanctionner les montages qui « ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
Si l’article ne prévoit pas expressément de sanctions encourues, on sait que les majorations prévues en matière d’abus de droit visées à l’article 1729, b du CGI ne sont pas automatiques, « seules les majorations de droit commun sont applicables » (1)
L’entrée en vigueur de l’article L. 64A du LPF est-il de nature à remettre en cause les opérations patrimoniales mises en place par le contribuable ?
La doctrine administrative est venue précisée qu’au même titre que l’abus de droit (article L. 64 du LPF), le mini-abus de droit ne doit pas faire obstacle à ce que le contribuable choisisse « le cadre juridique le plus favorable d’un point de vue fiscal »(2) . Par ce biais, l’administration fiscale confirme la liberté de gestion du contribuable (3)
Priorité souvent N°1 des personnes qui nous sollicitent, la transmission du patrimoine cumule plusieurs enjeux : Aider nos proches, diminuer les coûts de succession, donner du sens à son patrimoine. Le droit français étant très gourmand en droits de mutations à titre gratuit, l’optimisation est souvent au centre des préoccupations. Un bilan complet est essentiel pour donner une dimension globale à ces opérations et respecter les règles du jeu.
Par ailleurs, si un schéma est encouragé par le législateur par une incitation fiscale, ce dernier ne devrait pas tomber dans le champ d’application de l’article L. 64A du LPF, quand bien même celui-ci aurait un but principalement fiscal.
Enfin, la réponse ministérielle Proccacia du 13 juin 2019, est venue calmer les inquiétudes en précisant que « les transmissions anticipées de patrimoine, y compris lorsque le donateur se réserve l’usufruit du biens transmis ne sont pas en elles-mêmes concernées par la procédure d’abus de droit prévue à l’article L. 64A du LPF, sous réserve que les transmissions concernées ne soient pas fictives » (4) . Cette réponse ministérielle a été reprise au Bulletin Officiel des Finances publiques ce qui n’est pas sans nous assurer une certaine une stabilité.

EXAMEN DES MONTAGES A LUMIERE DU MINI-ABUS DE DROIT
La vente à soi-même – L’OBO (Owner buy out)
Imaginons la situation suivante des contribuables ayant une résidence principale, acquise en 2011 pour 300 000 euros et dont la valeur est aujourd’hui estimée à 700 000 euros. Les contribuables souhaitent la transformer en résidence secondaire. Pour bénéficier de l’exonération de la plus-value au titre de la résidence principale, ils créent une Société Civile Immobilière qui va s’endetter pour acquérir la résidence secondaire.
Cette opération présente l’avantage de réactualiser la valeur d’acquisition, de sorte qu’en cas de revente la valeur d’acquisition sera identique au prix de cession du bien à la SCI, soit 700 000 euros et ainsi la plus-value à la revente sera amoindrie. Autre avantage de l’opération, le recours à un emprunt va créer un effet de levier permettant de générer des liquidités.
L’administration est-elle en mesure de remettre en cause l’exonération de la plus-value sur le fondement de l’article L. 64 A du LPF ?
Dans l’hypothèse de ce montage, la vente n’entraîne pas de transfert de propriété effectif dans la mesure où le bien était détenu au préalable par les contribuables et que désormais, il est toujours détenu par les contribuables mais par le biais d’une société semi-transparente. Le motif de ce montage est donc principalement fiscal.
De plus, l’exonération de la plus-value au titre de la résidence principale a été pensée pour ne pas faire supporter aux contribuables de l’impôt sur des sommes destinées à être réinvestie dans leur nouvelle résidence principale.
Le conseil de Cheval Blanc Patrimoine
Pour éviter toute requalification du montage par l’administration fiscale, le recours au démembrement des parts sociales de la SCI semble être la solution la plus adaptée. En effet, en donnant la nue-propriété des parts sociales à leur enfants, les contribuables insèrent une dimension patrimoniale au montage. De cette façon, le montage ne poursuit pas un but principalement fiscal, il poursuit avant tout un objectif d’amorce de la transmission patrimoniale.
La société étant transmise sur la valeur des titres sociaux, la donation des parts démembrées ne génère que très peu de droits de mutation (voire nuls si l’abattement en ligne directe n’a pas été consommé), et à terme (au décès des usufruitiers), les nus-propriétaires recueillent la pleine-propriété des titres, en franchise d’impôts (1)
Le principe de la personnalité morale à l’épreuve du mini-abus de droit
Les sociétés résultent d’une convention. De ce constat, découle une très grande liberté de gestion et des décisions prises entre les signataires de la convention. Subtil mélange entre Droit des obligations et Droit commercial, les sociétés peuvent s’avérer un formidable outil de transmission patrimoniale tout en préservant les intérêts du donateur.
La décision d’affectation des bénéfices en réserve ne peut être constitutif d’une donation indirecte
Dans l’hypothèse de parts sociales démembrées, le principe veut que le droit de vote appartienne au nu-propriétaire pour toutes les décisions collectives à l’exception de celui relatif à l’affectation des bénéfices, décision réservée à l’usufruitier (2)
En matière de droits sociaux, on doit distinguer deux temps. En effet, la situation diffère que l’on se place avant ou après l’assemblée générale. Les bénéfices ne deviennent des fruits qu’à partir de la décision collective des associés qui leur confèrent cette nature juridique. Autrement dit, l’usufruitier n’a vocation à percevoir que le bénéfice distribué.
En l’espèce, un contribuable avait constitué une société civile avec ses 3 enfants. Les titres étaient démembrés, Madame étant usufruitière et les enfants nus-propriétaires. Après l’option à l’IS de la société, au cours des 5 années consécutives, les associés avaient voté pour la mise en réserve des bénéfices de la société.
L’administration a tenté de qualifier cette mise en réserve constitutive d’une donation indirecte au profit des nus-propriétaires. Ici, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la nature juridique des dividendes, leur naissance, et leur mise en réserve. La Cour de cassation, dans l’arrêt Cadiou (3) du 10 février 2009 est venue énoncer que « les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n’ont pas d’existence juridique avant l’approbation des comptes de l’exercice par l’assemblée générale, la constatation par celle-ci de l’existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé ; qu’il s’ensuit qu’avant cette attribution, l’usufruitier des parts sociales n’a pas de droit sur les bénéfices et qu’en participant à l’assemblée générale qui décide de les affecter à un compte de réserve, il ne consent aucune donation au nu-propriétaire ».
Ce qu’il faut retenir
Un bénéfice réalisé ne devient un bénéfice distribuable qu’à partir de l’assemblée générale qui décide de sa distribution ;
Un usufruitier n’a donc pas vocation à percevoir les bénéfices avant l’assemblée générale ;
La décision de mettre en réserve les bénéfices réalisés n’est pas constitutif d’une donation indirecte (4)
Mais qui de l’usufruitier ou du nu-propriétaire doit bénéficier de la distribution des réserves ?
A la surprise générale, les chambres de la Cour de cassation ne tiennent pas le même discours, l’une considère que les distributions des réserves appartiennent à l’usufruitier sous la forme d’un quasi-usufruit légal (5), sauf convention contraire, alors que l’autre considère que les distributions des réserves ne profitent qu’au seul nu-propriétaire (6).
Même face aux discordances des deux chambres, il est parfaitement concevable de réserver aux nus-propriétaires le bénéfice des dividendes prélevées sur les réserves par une clause statutaire.
Cette solution ne devrait pas être remise en cause par l’administration fiscale au regard du mini-abus de droit dans la mesure où la mise en réserve des bénéfices a pour fonction de pérenniser la situation économique de la société.

La modification de la clef de répartition des dividendes ne constitue pas une donation indirecte
Le sort de la répartition des dividendes a été précisé par la Cour de cassation, dans un arrêt de la chambre commerciale du 18 décembre 2012, dit « arrêt Godefroy ».
Dans cette affaire, les parts sociales d’une société civile étaient réparties entre les parents et leurs deux enfants. Plus précisément, les parents et les enfants détenaient en pleine propriété une partie des titres, alors que l’autre partie de ces titres était démembrée, la nue-propriété appartenant aux enfants, l’usufruit, aux parents. Au terme de cette répartition, les parents avaient vocation à percevoir 95 % des bénéfices distribués. Au cours d’une assemblée générale, les associés ont décidé modifier temporairement la répartition des dividendes au profit des nus-propriétaires.
L’administration fiscale fit alors valoir que, par cette décision, les époux, pour la période considérée, avaient renoncé au profit de leurs enfants à leur droit à distribution de dividendes et leur avaient, par ce biais, consenti une donation indirecte. (1)
La Cour d’appel avait validé le raisonnement soutenu par l’administration fiscale au motif que la décision de modifier la répartition des dividendes ayant été prise à l’unanimité par l’assemblée de la société, elle émanait nécessairement des parents usufruitiers qui disposaient de la majorité des droits de vote. La Cour de cassation infirme ce raisonnement en statuant ainsi : « alors que la modification de la répartition de la part de chaque associé dans les bénéfices de la société ne pouvait résulter que d’une décision collective des associés et qu’en participant à cette décision, émanant d’un organe social, M. et Mme X n’ont pu consentir à une donation ayant pour objet un élément de leur patrimoine, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Ce qu’il faut retenir :
Les époux n’ont pas pu consentir une donation indirecte à leurs enfants dans la mesure où l’assemblée générale n’avait pas décidé de la distribution des bénéfices réalisés par conséquent, ceux-ci n’étaient pas dans le patrimoine des parents. Or, en vertu de l’article 894 du Code civil (2), la donation est acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée. Autrement dit, pour qu’il y ait donation, il faut que la chose donnée soit dans le patrimoine du donateur, « on ne peut donner ce que l’on ne possède pas ! » (3)
A compter de l’immatriculation de la société, les rapports entre les associés sont gouvernés par le droit des sociétés. Ainsi, le contrat de société acquiert une valeur supra-conventionnelle. (4) La naissance de la personnalité morale implique que le patrimoine de la société est désormais distinct de celui de ses associés. Ainsi, la décision de distribuer des dividendes relève donc de la volonté seule de la société, exprimée à travers ses organes sociaux (5)
Ainsi, comme en l’espèce, la modification de la clé de répartition des bénéfices opère un transfert économique de valeur sans être une donation. Elle est un formidable outil de transmission permettant ainsi d’éviter le paiement de droits de mutation à titre gratuit. Cette solution agace l’administration fiscale, car en l’espèce, la nue-propriété des parts consentie aux enfants avait déjà permis une économie fiscale.
En effet, l’article 8 du CGI prévoit que « en cas de démembrement de la propriété de tout ou partie des parts sociales, l’usufruitier est soumis à l’impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les bénéfices que lui confère sa qualité d’usufruitier. Le nu-propriétaire n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l’usufruitier ».
Selon l’administration, l’usufruitier est imposable au titre du bénéfice courant de l’exercice tandis que le nu-propriétaire est imposable à raison des résultats exceptionnels (plus-values générées par la cession d’éléments de l’actif immobilisé). Par conséquent, une telle modification de la clé de répartition représente un réel manque à gagner pour l’administration fiscale. Enfin, cette décision s’inscrit dans la durée. En effet, en 2013, l’administration fiscale intègre cette jurisprudence au Bulletin Officiel des Finances Publiques.(6)
Cette solution pourra-t-elle toujours s’appliquer sous l’empire du mini-abus ?
On peut penser que cette solution restera inchangée dans la mesure où l’administration fiscale vise ici, la donation de biens à venir(7), or même sous la nouvelle législation, les associés ne peuvent présager des résultats futurs de la société. De plus, nous l’avons évoqué précédemment, la donation implique un dépouillement actuel et irrévocable. Il faut donc que la chose soit présente dans le patrimoine du donateur au moment de la donation, et irrévocablement. Les bénéfices réalisés n’étant pas dans le patrimoine du donateur, mais dans celui de la société, la donation ne pourra être caractérisée.
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